Cette étude de cas illustre le défi d’offrir aux jeunes l’occasion de développer une sensibilité anti-oppression. Le cas présente notamment les défis suivants : les politiques identitaires peuvent être source de discorde; se pencher sur des questions de pouvoir, de privilège et d’oppression requiert du temps, une ressource bien limitée; l’anti-oppression nous sort de notre zone de confort et provoque souvent des réactions (ex : la culpabilité) et de la résistance; et les participantes et participants, ainsi que les animatrices et animateurs, ont souvent peur de provoquer des conflits.
Développer une sensibilité anti-oppression requiert un processus continu, autant pour les jeunes que pour les praticiennes et praticiens de l’engagement du public. Dans le cadre de l’engagement jeunesse il est essentiel de créer des occasions pour avoir ces conversations difficiles, même si cela comporte d’importants défis. Lorsque nous avons commencé à organiser Generating Momentum, notre premier camp annuel de leadership pour jeunes militantes et militants (un camp de trois jours pour jeunes de 18 à 30 ans qui souhaitent acquérir les compétences nécessaires pour apporter des changements dans leurs communautés), nous savions que c’était essentiel d’offrir une séance sur l’anti-oppression au tout début du camp et que cette séance devrait être très bien animée. Étant donné que les grands noms du monde de l’anti-oppression n’étaient pas disponibles, un des coordonateurs du camp a décidé d’animer la séance lui-même.
Dans l’ensemble, la participation au camp était assez diversifiée. Il y avait environ 50 personnes : plus de femmes que d’hommes; une majorité d’étudiantes et d’étudiants; toutes et tous entre 18 et 35 ans. Tout le monde était là pour apprendre à changer le monde. Parmi le groupe il y avait trois hommes qui se sont auto-identifiés comme blancs, de classe moyenne et hétérosexuels, qui n’avaient jamais participé à ce genre de formation. Malgré leurs bonnes intentions, ils n’avaient jamais eu à se remettre en question et à se pencher sur les privilèges immérités dont ils bénéficiaient.
Le fait de parler de pouvoir et de privilège, et de se pencher sur la façon dont nous contribuons à perpétrer l’oppression, n’est pas chose facile, et il est normal d’avoir des sentiments de déni ou de culpabilité au début. Selon le comité organisateur, la séance a été un échec car ces trois hommes ont détourné la discussion en raison de ces sentiments. Une discussion au sujet de groupes systématiquement désavantagés a rapidement tourné au vinaigre : les trois hommes ont monopolisé la discussion en exprimant leur désaccord (mal-fondé) avec la discrimination positive en se basant sur des expériences personnelles. Vu qu’il n’y avait pas d’animateur chevronné et que ces trois individus détenaient le monopole du pouvoir au sein du groupe, la discussion a complètement déraillé.
Il n’existe pas de formule toute faite pour réussir une formation anti-oppression, mais il faudrait idéalement que les séances soient encadrées par quelqu’un qui a l’habitude d’animer des conversations difficiles. Sinon on risque de ne pas atteindre l’objectif de la formation, c’est-à-dire de donner les moyens aux participantes et participants d’identifier les pratiques oppressives systémiques qui ont cours au sein de leur école, de leur lieux de travail ou de leur organisation.
Voici certains des défis qui se posent dans le cadre du travail d’anti-oppression auprès des jeunes :
- Le manque de temps. Il peut être difficile et douloureux d’explorer la question du privilège. Les jeunes ont besoin d’avoir le temps d’en discuter, de prendre du recul et de faire le point pour pouvoir pleinement assimiler cet apprentissage.
- Il se peut qu’il n’y ait pas de place au programme pour aborder la question de l’anti-oppression. Les programmes d’engagement jeunesse ont souvent d’autres objectifs, veulent paraître légers et amusants, ou se déroulent autour d’une seule séance, ce qui ne laisse pas le temps pour une analyse en profondeur.
- L’engagement du public se fait souvent auprès de groupes homogènes (où les individus sont tous de classe moyenne, tous hétérosexuels, etc.). Il en va de même pour l’engagement jeunesse. Il est difficile de parler de diversité et d’oppression lorsqu’il y a peu de diversité au sein du groupe.
Les politiques identitaires peuvent être source de discorde. Intégrer de la formation anti-oppression peut aider à renforcer la cohésion et la solidarité, mais peut aussi engendrer des conflits et de la récrimination.
Défis connexes :
- La formation anti-oppression peut sembler être un geste purement symbolique. Le langage de l’anti-oppression est un obstacle en soi : il existe peu d’occasions d’apprendre et d’explorer les concepts en dehors des milieux militants.
- Il est difficile de parler de diversité et de promouvoir la diversité au sein de groupes homogènes.
- Il est tout aussi difficile de parler de diversité au sein de groupes très hétérogènes.
- L’anti-oppression présente les choses sous un angle négatif (anti).
- Il est facile de prendre pour acquis que les groupes militants et les communautés marginalisées comprennent déjà ces enjeux.
- Le fait de créer des espaces anti-oppression a parfois pour effet de freiner la curiosité.
- L’exclusion au sein d’un groupe ne se fait pas toujours sur la base de discriminations systémiques.