Pour être efficaces comme praticiennes et praticiens en engagement du public, nous devons prendre le temps de réfléchir à notre travail et de repenser les théories et les hypothèses sur lesquelles se fondent nos interventions. Les outils et les ressources qui suivent sont conçus pour inviter praticiennes et praticiens à réfléchir à la façon dont survient le changement par suite du travail d’engagement du public, et pour les aider à appliquer leurs réflexions à la méthode de travail de leur organisation. Nous espérons que les organisations de notre secteur utiliseront notre modèle de théorie du changement pour réfléchir aux hypothèses qu’elles utilisent pour expliquer le changement et qu’elles en viendront à se donner une théorie du changement, ou à adapter celle qu’elles ont, pour orienter leur travail.

Définition de l’engagement du public

La formulation qui suit a été élaborée comme définition provisoire dans le cadre du projet du RCC. Elle ne se veut ni normative ni définitive et espère seulement aider à mettre en contexte l’approche et la conception de l’engagement du public pour ce projet précis et à ce moment précis.

L’engagement du public est la pratique qui veut inspirer, soutenir et interpeller les individus et les groupes à l’intérieur de cycles dynamiques d’apprentissage, de réflexion et d’action sur des enjeux globaux. L’engagement du public est un processus de transformation qui travaille en vue de structures sociales, économiques, environnementales et politiques plus équitables.

Transformation ou transactions

« Il nous faut déplacer l’axe des activités d’engagement du public des ONG autour de la transformation plutôt qu’autour de transactions. Cela veut dire mettre moins l’accent sur les demandes de dons de 5 livres et les actions de campagne simples afin de donner plutôt l’occasion aux gens qui nous appuient de s’engager plus profondément, à terme, dans une démarche d’appui. »
Finding Frames, Page 10

Au cours des dernières décennies, les pressions exercées sur l’engagement du public l’ont amené à adopter de plus en plus de méthodes axées sur la transaction plutôt que sur la transformation. Nous croyons que l’engagement du public a pour objectif un changement transformateur : il devrait susciter un changement durable à long terme chez les individus, dans les groupes et les sociétés.

L’engagement transactionnel cherche à réduire ou à éliminer les barrières à des appels à l’action faciles et rapides, destinés au grand public – comme un petit don par message-texte ou la signature d’une pétition en ligne. Même si ces méthodes peuvent être un élément important, voire vital, de l’engagement du public, nous ne croyons pas qu’à elles seules, les méthodes fondées sur les transactions vont suffire à susciter les changements que nous recherchons. En fait, certains les juge contre-productives et estiment qu’elles freinent l’apparition d’un changement durable(Finding Frames, 6).

L’engagement transformationnel cherche à inclure les individus et les groupes dans des cycles dynamiques d’apprentissage, de réflexion et d’action sur des enjeux globaux. Ce processus exige des espaces d’engagement plus profond et des méthodes qui favorisent la participation à long terme. Les techniques d’engagement transformationnel peuvent comprendre, entre autres, les cercles d’apprentissage, l’apprentissage fondé sur l’expérience (locale ou globale) ou les délibérations pour creuser des problèmes complexes.

Comme l’explique un document de travail commandé par le CCCI,

« Le changement des systèmes mondiaux ne pourra pas résulter de la seule conscientisation. . . .  De plus en plus, [les organisations de la société civile] du Sud disent à leurs homologues du Nord que la meilleure façon pour elles d’appuyer le développement, c’est de provoquer des changements d’attitudes et de pratiques dans le Nord et de leur laisser, à elles, le soin de travailler au développement dans leur propre milieu. L’engagement du public doit adopter une approche holistique et comprendre toutes les actions que peuvent poser les citoyens pour susciter le changement social, notamment le plaidoyer » (« Public Engagement in Challenging Times: The Context, Implications, and Possible Directions » [L’engagement du public dans les temps difficiles : contexte, implications et orientations possibles], p.18).

L’engagement du public est un travail qui n’est jamais terminé, qui évolue avec nous, avec nos organisations et avec nos sociétés.

Le pôle de connaissances intitulé « Comment survient le changement » a exploré les messages explicites et implicites de notre travail d’engagement du public. Notre secteur a eu de nombreuses conversations sur les paradigmes conflictuels de la justice, d’une part (l’idée que le développement est un processus qui agit sur les inégalités dans les structures sociales, économiques, environnementales et politiques, en vue d’améliorer toutes ces structures), et la charité, d’autre part (l’idée que le développement est un don du Nord au Sud), et sur le fait que ces deux paradigmes se retrouvent dans les messages que nous diffusons. Le rapport Finding Frames examine la façon dont le public du Royaume-Uni comprend la pauvreté mondiale sous l’angle de la charité alors même que praticiennes et praticiens s’efforcent de présenter leur message sous l’angle de la justice:

« Les gens estiment que les causes de la pauvreté se trouvent dans les pays pauvres : famine, guerre, cataclysmes, mauvaise gouvernance, surpopulation, etc. On a donné au paradigme dominant le nom d’Héritage Live Aid : il est caractérisé par la relation entre un donateur puissant et un donataire reconnaissant. Les perceptions du public sont figées dans ce cadre depuis 25 ans. »  (Finding Frames, 6)

Le rapport montre que, de façon générale, le public britannique est incapable de voir en quoi son propre comportement et celui de son gouvernement contribuent à perpétuer l’inégalité. En outre, il s’en tient à une perspective « nous autres / eux autres » et estiment que toutes les solutions sont finalement affaire de charité (20). On peut relever de nombreuses ressemblances entre le tableau que brosse ce rapport et le contexte dans lequel se fait l’engagement du public au Canada.

Lynette Shultz, professeure agrégée d’études en politique de l’éducation, identifie un autre paradigme dominant dans la pratique de l’engagement du public au Canada: celui de « l’individu habilité » (“Public Engagement and Educating for Global Citizenship: What do we risk by focusing on “the Empowered Individual”?”, [Engagement du public et éducation à la citoyenneté mondiale : que risquons-nous à nous concentrer sur «l’individu habilité» ?,  p.3), personne du monde développé qui a le pouvoir de changer les choses, de provoquer un changement positif. À première vue, ce paradigme semble différent de celui du « donateur puissant / donataire reconnaissant ». Mais, en fait, ce paradigme ne change pas le rapport entre le donateur et le donataire : il se concentre uniquement sur le « donateur », l’individu habilité, ce qui a pour effet d’enlever toute légitimité à l’action collective et de réduire au silence le Sud global.

La question s’impose donc à nous de voir comment recadrer notre travail d’engagement du public afin d’aider les Canadiennes et les Canadiens à se voir d’un autre œil et à voir autrement le rôle qu’ils peuvent jouer, et de mettre l’accent sur les valeurs de coopération, d’égalité et de justice que nous jugeons essentielles à notre travail.  Nous espérons que les outils que propose le présent module donneront l’occasion aux praticiennes et aux praticiens de réfléchir ensemble à la façon dont ils peuvent aider les Canadiennes et les Canadiens à vivre un changement transformateur.